La parole vulnérable fait sa révolution

Mar 29, 2024

illustration de Charlotte Ager

 

La médecine des cercles de parole

 

La parole vulnérable est comme une rivière qui s’est tant retenue qu’elle ne s’arrêtera pas d’inonder nos terres. Sa cru déborde et charrie d’innombrables récits, autant intimes qu’offerts à l’espace public. J’écoute Folie Douce, le nouveau podcast de Lauren Bastide, où Cyril Dion raconte comment, après l’abus, il se répare en réparant le monde. Cette conversation n’a rien d’extraordinaire, nos oreilles sont habituées à entendre les failles des autres être dévoilées avec pudeur, décortiquées parfois de manière explicite pour un effet pédagogique ou prononcées pour justifier de prises de positions politiques, militantes, idéologiques. Notre intime n’est plus honteux, en tout cas celui des courageux qui osent l’exposer, nous montrant que ce n’est pas si terrible de dire la fragilité, ni stigmatisant - et qu’au contraire, vous le savez vous qui me lisez depuis longtemps : c’est même, dans certains cas, une source de puissance. 

 

On dirait que depuis #metoo, aucun blessure ne peut supporter plus longtemps le silence. Celles qui s’étaient tues disent maintenant d’une voix forte et trouvent souvent un écho : d’autres voix qui se reconnaissent, réalisent à leur tour l’injure, l’injustice, la douleur et disent moi aussi. Cette résonance est en train de faire la révolution. La capacité que nous avons de nous voir les uns les autres dans ce qu’habituellement on croyait tabou transforme le monde. Elle rend cette parole possible, celle qui sort du bois, de la honte, des yeux détournés, de la nausée jusqu’au vertige et en fait une immense bourrasque, fraiche, pleine d’espoir. 

 

Car il existe maintenant des lieux pour formuler l’indicible. Des endroits sécures, pas toujours au micro de podcast ou sur les réseaux sociaux. Des espaces à part, où nous apprenons à nous entendre. Car pour que cette révolution ait lieu, il faut des coeurs qui entendent les récits. Toujours ceux qui disent moi aussi, et qui grandissent ainsi en humanité. Bien sur, on a besoin les uns des autres pour contempler l’étendue de notre nature humaine, j’ai besoin de toi pour voir qui je suis.

 

Témoin de vos histoires depuis quinze ans, je me sens comme la terre, gorgée de larmes et de sang, frémissante, femme d’espérance. Je crois tant à cette médecine des cercles de parole. J’aimerais tant que nous soyons mille fois plus nombreux à lui faire de la place. La révolution, c’est cette rivière de vulnérabilité qui fertilise nos imaginaires. Venez la faire avec nous.